Critique 5

 

THEO THEA / AGORAVOX



LE CABARET DES TROIS SOEURS

"Le Cabaret des Trois Soeurs" envoûte La Cartoucherie


écriture collective  

mise en scène  Bruno Niver   

avec  Evguenia Peters, Daria Lovat, Tatiana Paramonova, Elena Garcia-Benitez, Serguei Vassiliev et Mike Ellis   

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Théâtre de  l'Epée de Bois  


   


DR.

             

Quel étrange et émouvant Cabaret nous est proposé au théâtre de l'Epée de Bois à la Cartoucherie !

Trois jeunes femmes moscovites, Génia, Dacha,Tania et un homme Sergueï, tels les trois soeurs de Tchekhov et leur frère coincés dans un environnement, provincial à l'époque, ressenti étriqué et vulgaire, brûlent de partir vers un "ailleurs" plus lumineux qui permettrait de déployer leurs ailes trop repliées sur elles-mêmes.

Par essence insatisfaits, désireux de combler un vide intérieur et quitter une vie terne et monotone, ces quatre êtres à la dérive vont nous embarquer, par des monologues pleins de mélancolie, dans une Russie fantasmée, de la Perestroïka à nos jours, et nous chanter leur spleen, leurs aspirations, leurs espoirs déçus.

La première à entrer en scène est Tania (Tatiana Paramonova) qui, flanquée d'une sempiternelle valise, rêve de voyages et se retrouve "émigrée" à Paris et finalement atterrit à la Cartoucherie, s'interrogeant devant le public sur ce qu'elle fait là. Elle se demandera si elle doit retourner à Saint-Pétersbourg mais laissera le train s'éloigner tout en ayant le billet à la main. Est-ce que prendre un billet de train oblige à partir? Non, dit-elle, car elle nous fait comprendre que la liberté de décision peut intervenir à chaque instant de sa vie mais, sans doute, est-elle plutôt incapable de prendre une décision et faire réellement un choix en proie avec cette éternelle langueur Tchekhovienne.

Dacha (Daria Lovat) incarne le mal-être et chante les envies inassouvies, les amours avortées, l'ennui, la vacuité de l'existence, tout en se métamorphosant pour braver le destin inéluctable de la fille des bas-fonds, de la prostituée ou de l'aristocrate déchue. Son répertoire passe par la romance d'une époque mythique aux chansons Brechtiennes de Kurt Weill et les tangos soviétiques des Années 20, au cabaret parisien avec Barbara, puis au Rock et au Jazz. Avec son violoncelle et sa voix rocailleuse, elle est très talentueuse.

Ces deux soeurs sont accompagnées par Génia (Evguenia Peters), pianiste avant tout et qui joue brillamment dans tous les styles. Plus jeune, elle parle de la Russie d'aujourd'hui et animera des morceaux de jazz avec un saxophoniste, Mike Ellis artiste invité, pour exprimer la musique plus contemporaine.

Quant à Sergueï (Sergueï Vassiliev), pierrot lunaire désenchanté, il navigue du mime cafardeux escorté par une ballerine d'une splendide grâce (Elena Garcia-Benitez) au révolutionnaire chantant et déclamant les poèmes insurgés de Maïakovski ou au rocker briseur de rêves.

Comme dans "les Trois soeurs" de Tchekhov, la pièce se déroule sur plusieurs années montrant l'oeuvre du temps sur la décadence de chacun et la ruine de toutes les attentes. La Russie est certes en mutation, la société est déboussolée, on pense que le bonheur sera pour la prochaine génération et pourtant en même temps « C’est ça l’âme russe : rien ne va mais on ne peut rien changer ! ».

Ce spectacle mis en scène par le plasticien et poète Bruno Niver nous fait voyager, aux travers de chansons russes, françaises, anglaises, allemandes dans une Russie poignante de nostalgie aux accents fantasques et désabusés sur fond de paradis perdu sans espoir de clarté. Le drame existentiel final en est la quintessence même.

Cat’s / Theothea.com le 16/11/18

   

                  


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