Les critiques 3

 

La Terrasse

THÉÂTRE - CRITIQUE
Le Cabaret des trois sœurs

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TEXTE COLLECTIF / MES BRUNO NIVER
Publié le 12 novembre 2018 - N° 270
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Dans ce spectacle musical qui explore le mystère de l’âme russe, le charme opère malgré une ligne de force brouillée.
De ses études à Moscou, auprès de maîtres tels que Boris Ioukhananov (élève de Vassiliev), Bruno Niver a rapporté ce qu’il appelle « la méthode russe de mise en scène » où la personnalité des acteurs est mise en avant. Le Cabaret des trois sœurs est ainsi basé sur des improvisations d’acteurs tirées de leur vie privée, improvisations qui font écho à certains textes tchekhoviens : Les Trois Sœurs et La Mouette, notamment. Le rapprochement ne manque pas de pertinence. Pour chacun des trois comédiens-chanteurs, les questions de « qui sui-je ? », « quel est le sens de la vie ? », « faut-il qu’elle ait un but ? », toutes problématiques éminemment techkhoviennes et même typiquement russes, sont primordiales. C’est la comédienne qui se demande si acheter un billet de train à l’avance ne tue pas la liberté de ressentir si, le jour du départ, on a toujours le même désir de partir. C’est la chanteuse qui se demande si elle ne se prostitue pas en chantant les chansons des autres. C’est enfin le comédien moscovite de 26 ans, excédé par le système de troupe et de théâtre de répertoire, qui réclame à l’État le droit de jouer un théâtre libre avec des « formes nouvelles » selon l’expression fameuse de Treplev dans La Mouette.
Un portrait de la Russie contemporaine
A travers ces questionnements – non dénués d’autodérision – se dessine un portrait de la Russie, à la fois contemporain et éternel, tant les tourments des héros tchekhoviens et leur incapacité à agir sont toujours actuels. A ces textes s’ajoutent de la musique, du mime, du ballet, le tout formant un patchwork d’époques où se mêlent chansons tsiganes traditionnelles, variété russe des années 90, jazz américain, chants révolutionnaires, Music for a while de Purcell, etc. Des chansons interprétées avec puissance et talent par Tatiana Paramonova, Daria Lovat et Ruslan Sabirov. Toutefois, la trop grande hétérogénéité du répertoire et des formes (on voit mal en quoi une ballerine s’imposait) finit par masquer la ligne de force du spectacle, brouillant les questions que Bruno Niver souhaitait poser, telles que « pourquoi une seule et même chanson est-elle perçue de manière totalement différente en fonction de l’interprète ? quelles fibres intimes de sa personne vibrent dans la voix du chanteur ? » À vouloir trop en dire, la confusion s’installe, heureusement rachetée par le charme des interprètes. Leurs rêves, leurs révoltes, leurs ratages les rendent humains, profondément humains.
 
Isabelle Stibbe

https://www.journal-laterrasse.fr/theatreLaTerrasse_interview.htmlshapeimage_2_link_0shapeimage_2_link_1